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Comme dans un rêve...
26 janvier 2016

RUE DU REPOS.

 

Jean-Pierre. Rue du repos. 

IMMEUBLE ET CHAR

 

Je n'étais pas stupide et je n'avais pas les yeux dans ma poche mais je vais vous dire une bonne chose : je préfère des gens comme eux qui trouvaient probablement des clients prêts à payer le prix fort plutôt d'autres, tout emprunts d'une fausse bonté, écoutant Londres et faisant mine d'aimer les résistants qu'ils avaient entraperçus. Ceux-là, on le savait, dénoncerait à la première occasion un suspect qui pouvait troubler leur tranquillité. En termes clairs, ce qu'ils faisaient les deux paysans de la Dordogne, les regardait...

A Paris, il y avait ma mère et mes deux sœurs. Communiquer était difficile. Je crois que c'était dur pour elles à cause du rationnement. Elles avaient froid et faim. Ma mère faisait du repassage à la maison avant de s‘employer comme domestique chez des bourgeois pingres et raciste. Sa bonne humeur naturelle et sa vraie bonté s'en sont trouvées ternies. Trop de mesquineries et l'obligation dans laquelle on peut être de toujours se contenir puisqu'il faut manger crée un déséquilibre. Quand la guerre a été finie, j'ai eu du mal à reconnaître dans cette petite femme à la beauté fanée et à l'esprit étroit, la jeune mère si maternelle et douce de mes jeunes années.

A la fin de la guerre, mes frères et moi sommes revenus de Dordogne. On a emménagé dans un nouvel appartement de Paris près du Père- Lachaise alors que nous avions jusque-là habité au pied de Montmartre. Mon père est revenu d'Allemagne, fou de joie mais déboussolé.

Et dans Paris sillonné cette fois par les armées de la libération, nous avons eu le sentiment que tout allait s'arranger puisque nous nous étions tous retrouvés.

Robert, mon frère aîné, allait avoir dix-huit ans, Raymond, dix-sept. J'en avais seize et mes sœurs suivaient, respectivement âgées de quinze et treize ans.

Ç'avait été difficile mais on faisait bloc. Du moins, on le croyait.

Un peu déphasé par ses années à travailler la terre, mon père, ouvrier à la base, est redevenu chaudronnier. Ma mère a repris ses travaux de blanchisserie. Mon frère aîné a voulu apprendre la mécanique et l'autre a trouvé un emploi dans une épicerie.

Nous, nous sommes allés, plus sérieusement il faut le dire, à l'école. Mais malgré tout, tous sauf moi se sont vite lassés. J'adorais étudier et j'étais doué ; apprendre, étudier étaient facile pour moi.

J'ai été repéré par un instituteur qui, je ne sais comment, m'a fait passer un concours qui ouvrait à une bourse, et celui-ci réussi, fait entrer au lycée. J'ai eu mes deux bacs. Mes parents se disaient contents mais mentaient, je pense.

Ils avaient eux-mêmes travaillé très vite et sans doute étaient-ils désemparés. J'entrais dans une sphère de la « connaissance » dont s'étaient -bien qu'intelligents- sentis exclus.

Malgré cela, il nous fallait rester bien unis. On avait, se retrouvant, tenté de remettre en place la tradition des anniversaires mais quelque chose ne fonctionnait plus ; pourtant, autour de mes jeunes sœurs, il y a encore eu quelques bons gâteaux et de grands rires.

Un premier janvier où avait juste mentionné le mien sans le fêter outre mesure, mon père est sorti faire un tour. Un bus l'a renversé ; il est mort sur le coup. C'était un accident bizarre mais il ne serait pas suicidé. Non, pas lui. On en est restés à l'accident.

Un an après, ma mère est tombée malade. C'était la tuberculose. Elle l'avait déjà, il paraît quand j'étais déjà en Dordogne avec mes frères. Mes sœurs ont dit ça : qu’il lui avait fallu un an pour mourir.

Et tout le monde s'est séparé.

 

GABIN ETC

 

Mes grands frères ont habité de leurs côtés et ont quitté le vingtième. Mes deux sœurs sont parties pour des raisons plus sentimentales que professionnelles, l'une pour Saint-Nazaire (la fin de la guerre permet de rencontrer des marins) et l'autre pour Moulin où elle a suivi un négociant en vin qui allait reprendre l'entreprise paternelle.

Et je suis resté là. Et j'ai fait des études de droit. Oui, moi, le fils de pauvres. Et je suis devenu substitut du procureur....

En ces temps d'après-guerre et de reconstruction, il n'était pas toujours simple de trouver un logement à Paris. Je vous ai dit que nous étions dans le vingtième arrondissement. Je suis le seul de ma famille à y être resté.

Et quand j'écris cela, je veux signifier que je n'en suis jamais parti, même si je vis depuis des années dans un cent -mètres carrés et que l'immeuble dans lequel se trouve mon appartement a belle allure.

Mais je viens à l'essentiel…

 

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